3 - Le « Miroir » de Riemann,
les « zéros » de son hypothèse
Riemann valide l’estimation de Gauss (p. 130) ; puis il entrevoit un miroir dans l’inversion duquel le monde chaotique de nombres premiers devient ordonné.
Tous les Soufis ont parlé de ce miroir de la création. Dans L’Archange empourpré Soravardhî, entre autres, présente la création entière comme le miroir de Dieu ; et nous dit que, comme le miroir est vide et ne garde aucune trace de ce qu’il reflète, ainsi en est-il de la Création. Et l’Homme ainsi est-il miroir de celui qui est et, hors de son regard, il est vide. C’est pourquoi il est dit de « passer de l’autre côté du miroir », en la Source.
Cette image est apparemment un chaos mais reflète l’Ordre absolu de l’Amour tout comme la droite ordonnée de Riemann reflète un chaos apparent ! Aucun zéro ne pourra jamais échapper à la droite de Riemann, le paysage qu’il décrit est une partie de l’hologramme de la création et la contient tout entière. Et dans le « Grand Livre » de l’Univers, dont parle Herdös, tout ce qui se révèle à nous siècle après siècle est déjà écrit pour être dévoilé. Mais comme le disent les maîtres Soufis, la Vie se voile en se dévoilant.
L’ombre du graphe qui permet de reconstituer ce paysage est semblable aux ombres de la Caverne de Platon qui permettent aux hommes enchaînés d’imaginer le monde réel, et à l’âme de s’évader pour contempler le monde des Idées. Ne serions-nous pas, chacun de nous, l’ombre d’un Nombre ?
Riemann, en mathématicien digne de ce nom, se méfie de ses intuitions visionnaires au point qu’il faillit ne pas laisser de traces de ce qui est appelé son hypothèse (p. 132). Ce qu’il entrevoit dépasse en effet toutes les considérations mathématiques.
Qu’en est-il des zéros de la droite de Riemann ? Zéro « représente purement et simplement l’absence de toute quantité, car une quantité qui serait moindre que rien est proprement inconcevable.(13) » C’est « rien » ! La Manifestation naît du vide, du rien ! Chez les Babyloniens, zéro « ne fut jamais conçu comme un nombre : synonyme de “vide” seulement, il ne correspondit jamais au sens de la “quantité nulle” (14) ».
Les Nombres sont « Causes » de l’apparition des formes et le zéro, le vide, recristallise chaque chose en l’unifiant dans la Source de toute chose.
Le vide est plein de tous les possibles. Les physiciens eux-mêmes pensent que le vide physique n’est qu’une abstraction et que de nouvelles particules peuvent en surgir.
« A l’origine, il y a le Rien (wu) ;
Le rien n’a point de nom.
Du Rien est né l’Un ;
L’Un n’a point de forme.(15) »
Toutes les traditions authentiques maintiennent la même vérité. Celle des Peuls nomades du Mali enseigne : « Avant la création du monde, avant le commencement de toute chose, il n’y avait rien, sinon UN ÊTRE. Cet Être était un Vide sans nom et sans limite, mais c’était un Vide vivant, couvant potentiellement en lui la somme de toutes les existences possibles.(16) »
En Orient, la Manifestation est Illusion, Maya. Celle-ci est « l’interprétation et les concepts que donnent une civilisation, une culture, une religion, tous conditionnements inhérents à l’incarnation en un lieu et un temps donnés.(17) » « Maya est l’illusion qui prend ces concepts pour la réalité, qui confond la carte avec le territoire.(18) »
La « faille » (p. 476) qui apparaît dès le début de l’ascension du pic de Riemann est une protection extraordinaire contre l’inconscience humaine qui ne fait que s’accroître depuis deux millénaires. Quelle outrecuidance, cette prétention énoncée ainsi : « quiconque prouvera l’hypothèse de Riemann deviendra effectivement immortel » ! (p. 475). Le Tao offre un bien autre chemin vers l’Immortalité ! Heureusement que « les mathématiques ont toujours été la meilleure école d’humilité » comme l’affirme Alain Connes (p. 472) !
Certes, des illuminations se produisent qui sont quelques gouttes de rosée sur le chemin d’une quête du Graal qui peut mener à l’Illumination… Il n’y suffit pas de disposer « d’un nouveau langage sophistiqué et de nouvelles techniques qui permettaient de cristalliser les idées » (p. 470) de son directeur de thèse ! Ce n’est rien moins que construire son Corps Conscient pour naître à l’existence au-delà des temps.
Et « voir » que dans l’hypothèse de Riemann, comme dans tout hologramme, se retrouve le Tout universel…
Notes :
13 - Les nombres complexes sont une extension des nombres réels incluant les nombres imaginaires. 14 - Georges Ifrah, op. cit., tome I, p. 774.
15 - Tao té King.
16 - Hamadou Hampâté Bâ, Contes initiatiques peuls, Stock, 1994, p. 19.
17 - Notre livre : Le Miroir, symbole des symboles, Ed. Dervy, 1995, p. 46.
18 - Firtjof Capra, Le Tao de la physique, Tchou, 1979, p. 90.